Biomimétisme, vous connaissez ?

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Bonjour Monsieur Olivier Allard*, vous travaillez dans le domaine du Biomimétisme, Qu’est-ce que le Biomimétisme ? Le biomimétisme est une approche scientifique ou une démarche d’innovation qui fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère. C’est la convergence entre Nature et innovation. L’approche est bien connue aux États-Unis, en Allemagne ou en Chine, la France comme toujours est en retard, mais c’est en train de changer rapidement, notamment grâce à l’association Biomimicry-Europa qui fait un boulot formidable de promotion. Un centre de compétence en biomimétisme est en train de voir le jour à Senlis, le CEEBIOS, le premier centre fédérateur en Europe. L’AFNOR travaille à faire entendre la voix de la France sur une norme européenne ISO sur la biomimétique pour peser face aux Allemands. Certaines communes françaises, telle que celle de Vélizy, s’y intéressent pour rendre leur urbanisation plus soutenable écologiquement. Et puis la recherche avance comme on dit.   Ce domaine d’activité est peu connu aujourd’hui du grand public, pourquoi ? Les grands médias ne s’en sont pas encore emparés malgré quelques reportages notables sur TF1, M6 ou ARTE et un certain nombre d’articles dans des magazines ou journaux. De plus le réseau français est en train de se structurer, ce qui prend du temps et en laisse moins pour les activités de promotion et de lobbying. A noter néanmoins que la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie viendra inaugurer le CEEBIOS le 22 février 2015. Bref, on devrait entendre d’avantage parler du biomimétisme dans les années à venir.   Quelles sont les motivations qui vous ont poussé vers ce domaine ? Comme beaucoup de gens, je cherchais les voies innovantes et pratiques qui permettraient de solutionner les problèmes auxquels nous faisons face comme l’effet ciseau sur les ressources naturelles (deux lames: raréfaction des matières premières et augmentation de la consommation mondiale), le réchauffement climatique ou encore la crise économique, sachant que tout est lié. Dans mes lectures, je suis tombé sur le biomimétisme et le livre de la biologiste américaine et consultante en innovation, Janine Benyus – Biomimicry: Innovation Inspired by Nature. Ce fut une révélation. Enfin je lisais ce que je pensais intimement et qui apportait les solutions que j’attendais. S’inspirer du fonctionnement de la nature faisait sens, car après 3.85 milliards d’années d’évolution, la nature a appris : ce qui marche, ce qui est approprié et sain, ce qui dure ! Alors pourquoi ne pas s’en inspirer ! Il y a quatre ans, le biomimétisme était encore confidentiel. Tout était à faire ! Donc plein d’opportunités et de challenges.   Êtes-vous physicien ou spécialiste en Biomimétisme avant tout ? C’est une bonne question ! Je suis un physicien qui pratique l’approche biomimétique. Mais cela ne m’est pas spécifique, car le biomimétisme est une approche, une manière de faire de la science, de l’ingénierie, de l’innovation. Ce n’est pas une science !   Quelles études conseilleriez-vous car il ne semble pas y avoir encore de formation particulière ? Ces études sont-elles publiques ou privées ? Comme le biomimétisme n’est pas une science, le parcours d’un étudiant doit être classique. Il doit suivre des études dans le domaine qui le passionne, par exemple en architecture, en ingénierie, en chimie, en bio-science, en design, etc. et se former une culture, suivre des cours en parallèle, lire tout ce qu’il peut sur le vivant et le biomimétisme. A mon sens, il n’y a pas d’expert à proprement parlé du biomimétisme. Dans les entreprises comme dans les laboratoires, il n’y a pas de personne formée au biomimétisme mais des experts de leur domaine qui s’intéressent aux solutions développées par le vivant. Néanmoins, le CEEBIOS a mis en place une formation à destination des entreprises ou des collectivités qui ont identifié le biomimétisme comme une voie d’exploration et d’innovation et n’ayant pas les compétences en interne. Cette formation est dispensée par des experts en biologie, physique, écologie, etc. qui connaisse parfaitement le biomimétisme et qui le pratique depuis 10 ans. A noter également la mise en place dans certaines formations d’ingénieurs ou universitaire, de modules optionnels orientés biomimétisme. Mais cela reste rare.   Est-ce une nouvelle façon de penser, d’imaginer, d’innover, de porter des valeurs ? Le biomimétisme, c’est la promesse d’une révolution technologique. Imaginez que nos produits ou même nos habitations soient capable de résister à toutes les intempéries, et soient faits de biomatériaux biodégradables, auto-cicatrisants, autonettoyants, adaptatifs, non-polluants qui s’auto-assembleraient à partir d’une minuscule boite contenant le plan de construction et que l’on jetterait en terre et qui consommeraient très peu d’énergie et uniquement solaire. C’est ce qu’est capable de faire n’importe quelle plante ou arbre ! Ce sont ces mécanismes du vivant que les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire. Le concept de biomimétisme, tel que soutenu par J. Benyus, se propose donc de s’inspirer des idées géniales développées dans la nature pour concevoir nos innovations dans une perspective de durabilité. Le biomimétisme est basé non pas sur ce que l’on peut extraire des organismes biologiques et de leurs écosystèmes, mais sur ce que l’on peut apprendre d’eux. Cette approche diffère donc fortement des technologies existantes développées dans un but unique de profit à court terme. Au lieu de domestiquer ou modifier les organismes biologiques, les « biomiméticiens » prennent ces organismes comme consultants, comme mentors et s’inspirent de leur génie sans perturber les cycles naturels. C’est un changement profond de paradigme, un nouveau cadre conceptuel qui dépasse largement nos manières de concevoir et produire nos innovations. Il s’agit de repenser la façon dont nous construisons nos infrastructures, nos sociétés, notre cadre de vie pour concevoir une manière de vivre plus respectueuse des espèces biologiques, de l’environnement et de la vie en général en retrouvant notre place au sein de la nature et non plus séparée d’elle. Il ne s’agit pas de prôner une vision naïve et détachée des réalités économiques, il s’agit d’opérer un changement de paradigme pour laisser aux générations futures un environnement moins dégradé que celui dans lequel nous vivons, en opérant notre développement de manière soutenable. Et qui mieux que la nature peut nous enseigner ce que c’est que l’écologie ? C’est l’enjeu majeur du 21ème siècle.   En orientation on essaie de ramener le jeune à écouter ses sens, à regarder ce qui l’a construit, les chercheurs ont-ils oublié de regarder mère nature ? Peut-être pas les chercheurs, en tous cas pas tous. Notre société par contre a été aveuglée par la toute-puissance que nous ont procurée le pétrole et le gaz. Nous brulons chaque année ce que la Terre a mis un million d’année à former et stocker ! Grace au pétrole, on dispose en moyenne de l’équivalent de 100 personnes à notre service. On en a déduit naïvement que l’on pouvait se passer de la nature, des services et ressources que l’ensemble des écosystèmes nous procure. Le rappel à l’ordre va être brutal, hélas. Et le pétrole n’est pas la seule ressource épuisable que l’on utilise abondamment. Nos téléviseurs, smartphones, automobiles ou autres objets du quotidien, regorgent de substances minières qui se raréfient. Il faut se réinventer et oublier nos envies de toute puissance et adopter une attitude plus humble. Si seul notre égo doit en souffrir ce sera un moindre mal. Le biomimétisme nous aide à trouver des solutions.   Diriez-vous que le Biomimétisme arrive au bon moment, celui du développement durable par exemple, ou est il encore trop tôt pour connaître la place du Biomimétisme ? Aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Asie, les gens ne se posent pas tant de questions, il y a longtemps qu’ils agissent. Le biomimétisme, c’est l’écologie 2.0. Donc, je pense que c’est l’avenir du développement durable (terme qui est presque un oxymore et auquel je préfère le terme de développement soutenable). Il y a également une prise de conscience au niveau du gouvernement qui considère que le biomimétisme aura une place importante dans la lutte contre le réchauffement climatique. On attend maintenant des actes forts !   Une entreprise peut-elle faire des économies en orientant sa recherche vers le Biomimétisme ? Le Fermanian Business & Economic Institute de San Diego a publié une étude en 2014 qui estime la production mondiale de biens inspirés du vivant à 1 600 milliards de $ d’ici à 2030 et à 500 milliards de $ d’économie sur la diminution des pollutions et la gestion des matières premières. C’est un marché colossal. Le biomimétisme, c’est aller chercher au sein de l’ensemble des espèces les solutions aux problèmes auxquels les entreprises font face. Le vivant a 3.85 milliards d’années de recherche et développement derrière lui. Les entreprises peuvent gagner du temps dans leur processus d’innovation en allant chercher dans la nature des solutions performantes et optimisées déjà établies et les adapter à leur problèmes. J’invite les lecteurs à regarder ce lien ici, pour voir un panel d’entreprises qui pratiquent déjà cette approche.   Finalement s’agit’ il d’un état d’esprit (comme la démarche Colibri par exemple ?) où tout le monde peut exercer, commerciaux, physiciens, ingénieurs, communicants ? Le biomimétisme est aussi un état d’esprit, une philosophie. Il change notre rapport au vivant et donc à nous même. Il questionne notre place sur Terre. Il n’est donc pas orienté spécifiquement technologie. Mais cet aspect fondamental des choses n’intéresse pas les entreprises en général. Il y a beaucoup de valeur commune entre Colibris, Pierre Rabhi, la permaculture et le biomimétisme. Dans le biomimétisme, ces valeurs sont fondées sur le fonctionnement de la nature, du vivant qui a prouvé sa durabilité, sa résilience. Nous pensons que c’est le modèle à suivre. Encore faut-il le comprendre et suivre néanmoins une certaine éthique. Tout dans la nature n’est pas applicable au cas humain.   Pour les parents, pensez-vous que c’est un secteur d’avenir, qui va grandir ? à conseiller ? Nous sommes à un point d’inflexion. Les acteurs encore éparses se fédèrent et s’organisent en France. Le biomimétisme est de plus en plus à la mode et dans les années à venir la démarche devrait se pérenniser là où elle est la plus efficace. Donc je pense que le biomimétisme a de l’avenir en France. Néanmoins, je conseille toujours à mes étudiants de suivre d’abord leurs passions plutôt que des choix stratégiques sur les secteurs porteurs d’avenir. « Trouve ton métier dans ce qui te passionne ou crée le ». Votre blog est indiqué en fin d’interview, mais connaissez-vous d’autres organismes, à conseiller, où les ados peuvent se documenter ? Je conseille les sites de l’association Biomimicry-Europa, du CEEBIOS et pour ceux qui lise l’anglais, le site Biomimicry3.8. Je conseille également la lecture du livre de Janine Benyus.   *Mr Olivier Allard est spécialiste en innovation bio-inspirée et biomimétisme, et créateur du site www.biomimesis.fr, où l’on retrouve plein d’information sur le biomimétisme.

Publié le 17 février 2015 | | Laissez vos commentaires

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