Génération tout à l’égo

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Fans de Facebook, les ados s’y affichent sans complexe. Narcissisme exacerbé ou petit jeu anodin ?

C’est devenu une manie. Presque une obsession. Une à deux fois par semaine, Lola, 13 ans, change la photo de son profil Facebook. Sur la dernière en date, cette brunette bouclée arbore crânement un nouveau chapeau. Bingo ! Quarante-deux amis ont « liké » et seize ont fait des commentaires. « Trop mignonne ! » dit Charlotte. « La star !!!!! » s’exclame Camille. « Belle gosse », lance Anaïs, qui a accompagné son propos de deux petits cœurs roses. Lola est sur le réseau social depuis six mois, et elle adore s’y exposer. « Facebook est comme un livre où je me raconte, dit-elle. Je montre ma vie, ce que je fais, les derniers vêtements que j’ai eus. » Elle n’est pas un cas isolé, les ados « kiffent » le réseau. D’après le baromètre 2012 « Enfants et internet » (1), 80% des 13-15 ans et 92% des 15-17 ans y sont inscrits et, comme Lola, 86% de ces derniers y publient des photos. On les y voit entre copains, en vacances, en soirée. Mais souvent seuls aussi, beaucoup de clichés étant des portraits. L’allure est étudiée, surtout chez les filles, et le sens de la mise en scène, évident. Regard droit dans l’objectif, tête de côté, poses rigolotes ou provocantes… Totalement narcissiques, nos ados numériques ? « Oui, mais c’était déjà le cas avant, estime la philosophe Anne Dalsuet, auteur de “T’es sur Facebook ?” (2). Les réseaux sociaux donnent juste une nouvelle résonance à ce penchant. Autrefois, on faisait des albums photos, désormais, on les met sur Facebook, car tout le monde a intégré le principe warholien “pour exister, il faut être vu”. Les jeunes n’y échappent pas. »

Ils y sont même particulièrement sensibles. « C’est un âge où l’on aime être flatté, rassuré sur son corps et sur son apparence, estime Jacques Henno, conférencier spécialiste du numérique. Ça explique qu’ils se fassent autant de compliments et de bisous sur Facebook. » « Ils sont dans la com d’eux-mêmes. Pour eux, les “Like” attestent leur valeur », confirme le psychiatre pour ados Xavier Pommereau. Car être « liké », c’est être populaire, une notion clé pour les ados, un élément indispensable à la construction de leur identité. C’est sans doute pour cette raison que la plupart d’entre eux ne prennent pas de pseudo : seuls 8% en choisissent un à leur inscription sur le réseau.

Mais se raconter à Toile ouverte peut être risqué. Grisés par l’outil, et pas toujours au fait des paramètres de confidentialité, les néophytes ou les plus jeunes oublient parfois toute retenue et postent la photo ou le message de trop. C’est le cliché d’une soirée bien arrosée ou un commentaire vachard sur un copain – non, les ados ne font pas que dans la gentillesse – qui provoquera des réactions insoupçonnées dans la cour du lycée. « Quand ils sont derrière leur écran, ils ne mesu- rent pas toujours le poids des mots, dit Jacques Henno. Mais s’ils ont écrit n’importe quoi, la “vraie vie” les rattrape le lendemain sous la forme d’une dispute à la sortie de l’école. Ils com- prennent vite la leçon. »

Le temps aussi porte ses fruits. A la longue, les jeunes se lasseraient de ce « tout à l’ego ». « Des ados commencent à quitter Facebook, remarque Pascal Lardellier, professeur en sciences de la communication. Ils saturent de l’auto-narration continue. » Julie, 15 ans, trois ans de réseau social derrière elle et 355 amis, n’en est pas loin. Cette Parisienne se connecte pour écrire à ses copains qui vivent loin et retrouver des camarades de maternelle ou de primaire. « Au début, je faisais surtout attention à mon image, dit-elle, je mettais plus de jolies photos de moi. Aujourd’hui, je trouve que ce n’est pas si intéressant de faire ça. » La jeune fille est sur Twitter depuis un an. « On s’y prend moins au sérieux. » Des ados se reportent aussi sur Instagram, un réseau social d’images, qu’ils jugent plus créatif. Comme sur Facebook, on y met des photos, mais l’idée est de donner à voir le monde. Pas seulement son nombril.

En chiffres : – 250 millions d’images sont publiées chaque jour sur Facebook. – Plus de 60% des collégiens et plus de 50% des lycéens y passent plus d’une heure par jour.

(1) Réalisé par Calysto avec la Voix de l’Enfant auprès de 35 000 enfants et ados. (2) Flammarion, « Antidote », 2013.

ELODIE LEPAGE

Publié le 17.10.13 par Le Nouvel Observateur

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Publié le 25 octobre 2013 | | Laissez vos commentaires

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