Interview Dr Jacky Israel – Pédiatre expert de la relation parent-enfant

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LeDr Jacky Israël, auteur de « Enfants, mode d’emploi: à l’usage des pères»  est pédiatre, néonatologiste et père de deux enfants. Il est à l’écoute des pères depuis plus de vingt ans.

Un papa, une maman, y a t’il un rôle pour chacun tout au long de la vie de l’enfant ?

Le séjour in-utéro participe à ce que le bébé soit plus en demande de maman que de papa dans les premières années. L’absence des mamans due à leur activité professionnelle, peut provoquer un manque qui se manifeste parfois par des problèmes de sommeil chez le nourrisson et le jeune enfant. Même si les papas s’occupent de plus en plus du tout-petit, qu’ils expriment et revendiquent leur part féminine, avec le temps, ils prennent de la distance et assument leur masculinité pour faire autorité. C’est vers 5-6 ans que le papa prend son enfant par la main pour lui permettre de sortir de sa petite enfance et lui ouvrir le monde. Il n’y a pas d‘égalité père mère, au sens où l’on parle d’égalité homme-femme dans une entreprise. Il y a des différences qui s’affirment et qui doivent être exprimées plus ou moins, en fonction de l’âge de l’enfant. Le père et la mère se complètent tout en étant différents l’un de l’autre mais, quelles que soient leurs divergences apparentes dans certaines décisions, ils sont toujours unis pour l’essentiel, à savoir l’accord de fond du couple. Vers 13 ans, muni de ce qu’il a ressenti, reçu, vécu jusque là, l’ado va prendre son envol pour acquérir son autonomie. A cet âge, ce qu’il est difficile de faire comprendre et accepter aux parents c’est que malgré les apparences trompeuses, leurs ados sont habités par les liens indéfectibles qu’ils ont tissé avec eux, mais qu’ils ont besoin de passer outre pour construire à leur tour d’autres relations, notamment amoureuses. En cette période de doute, de recherche, et souvent de mésestime de soi, ils ne peuvent supporter des critiques qui les enfoncent encore plus, ils ont besoin d’être accompagnés et positivés par leurs parents. Les parents réagissent trop souvent à leur propre histoire : ils voudraient la répéter quand elle était bonne, ou la réparer quand elle était mauvaise sans tenir compte de « l’autre »(l’ado). L’adolescence de leurs enfants n’a rien à voir avec la leur dans la mesure où leur histoire est différente, et que l’environnement n’est plus le même à une génération d’intervalle.

Les parents ont il du mal à se faire confiance ?

Il existe une méprise entre le fait d’avoir trop confiance en soi en tant que parent et celui que ce rôle ne puisse être remis en question. Si les parents se sentent trop détenteurs de la vérité, ils risquent l’abus de confiance. Le problème actuel des parents c’est plutôt le manque de confiance en eux quand ils sont fragilisés, pour ne pas dire parasités, par leur propre histoire leur passé d’enfant ou d’ado. Il faut certes savoir se remettre en question sans pour autant se sentir responsable, en pensant à tort que tout dépend d’eux. Si l’enfant se construit essentiellement dans les interactions avec ses parents, il est aussi confronté très tôt au monde environnant qui n’est pas sans l’influencer. Le principal obstacle au maintien d’une bonne relation entre les parents et leur enfant, c’est de tout mettre sur le compte des uns ou de l’autre. Des parents « suffisamment bons » doivent certes avoir confiance en eux, mais également évoluer au fil du temps pour donner confiance à leur enfant et ainsi lui lâcher la bride avant qu’il ne la coupe de lui-même. Il m’arrive en tant que pédiatre de ne pas être d’accord avec l’un ou les deux parents et, malgré mes précautions oratoires, certains restent sur leurs positions et préfèrent ne pas revenir, ce qui en dit long sur la peur de voir naître la contradiction. Pourquoi l’ado n’aurait-il pas les mêmes droits pour se séparer d’eux ? Sans compter qu’il a parfois raison.

Absence de papa ou place prédominante, parents séparés, Quelle implication pour l’ado.

Prenons le cas d’un papa absent. Quand il n’y a pas de papa du tout dès la naissance, à l’âge de 3-4 ans l’enfant cherchera son père. Par contre, quand un père disparaît durant les premières années de vie d’enfant, celui-ci l’oubliera suite à l’amnésie infantile survenant vers 6 ans mais, l’absence de trace consciente de l’existence du père n’empêche en rien l’empreinte inconsciente (les effets sur l’enfant lors de son temps de présence antérieure). Les jeunes enfants essayent de trouver ailleurs des images paternelles pour combler les trous, mais Il est très difficile de devenir père à son tour si on n’en pas eu (en l’absence d’un modèle). Quand le père est trop présent ou occupe une place prépondérante, sa proximité physique et psychique peut non seulement empêcher le jeune enfant d’acquérir son autonomie, mais elle peut nuire à la place de la mère. Dans ce cas, les couples se disputent souvent leur enfant et surtout, l’exclusivité de la relation affective. Ce genre de concurrence peut mener à des séparations au cours des premières années de vie de l’enfant. Pour l’adolescent, en général, le problème qui se pose n’est plus d’avoir un modèle, mais de s’en passer : en quelque sorte « tuer » son père (sur le plan symbolique). Il a besoin de se, et de le dépasser, afin de devenir homme à part entière, ce qui est impossible si son père ne lâche rien de ses prérogatives, et s’il ne renonce pas à sa toute puissance. Tout ado doit pour nouer des relations amicales et amoureuses reléguer ses parents à une autre place. Pour l’ado qui a été couvé par ses parents et notamment par son père, soit il coupe les ponts, soit il reste dépendant de cette main mise dont il souffre en permanence. C’est là au pédiatre d’intervenir. Bien évidemment, en ce qui concerne une adolescente, il est encore plus important qu’un père se retire pour qu’elle puisse envisager une relation avec un autre homme. Pour ce qui est des parents séparés, s’ils se parlent, c’est bon pour les enfants notamment quand ils sont jeunes et dans l’incapacité de les séparer dans leur esprit, mais quand les parents ne se parlent pas, l’enfant doit mener 2 vies cloisonnées. Il se sent obligé de prendre parti pour l’un ou l’autre, selon qu’il est dépendant de la personne qui le garde et notamment de son influence. Quant au nourrisson ou au jeune enfant qui se sent privé du jour au lendemain de la présence quotidienne d’un père très présent, il le vit souvent très mal. Le grand enfant et l’adolescent n’ont ni les mêmes besoins, ni la même vulnérabilité, ils ont leur propre jugement et choisissent parfois de retourner chez leur père quand ils ont été gardés par leur mère et, certains vont jusqu’à la rejeter quand elle aura été trop « parti pris » contre leur père. Tout ce qu’ils ont vécu à partir du moment ou le couple parental s’est séparé s’est imprimé en eux et, leur ressenti n’est pas toujours le reflet de la réalité : il ne répond pas nécessairement aux souhaits de l’un ou de l’autre parent.

Les parents et la scolarité

Dès que les enfants sont scolarisés, les parents s’imaginent que c’est aux enseignants de veiller à l’éducation de leurs enfants. De ce fait, bien des parents lâchent prise et mettent tous les problèmes rencontrés par l’enfant sur le dos de l’école. Ce sont les parents qui sèment et c’est l’école qui récolte, autrement dit : les parents sont garants de la sécurité affective de leur enfant, ce qui lui permet de s’épanouir pleinement à l’école. De l’enfance à l’adolescence, les parents doivent donner un cadre et des limites adaptées à l’âge, autrement dit évolutives. Quand un enfant arrive à l’adolescence, il est trop tard de vouloir lui imposer des limites et des interdits s’il n’en a jamais eu auparavant. D’autre part, au lieu de critiquer à tout va, un parent doit toujours être attentif, disponible et montrer qu’il a confiance en son enfant, quelles que soient ses difficultés. Malheureusement, nous sommes actuellement dans une société qui privilégie la performance et la critique : les parents voudraient que leur enfant réussisse ce qu’ils n’ont pu réaliser ou, aussi bien qu’eux s’ils ont été brillants. Du fait de cette pression et des critiques, bien des enfants se mettent en échec.

Pourquoi êtes vous devenu pédiatre ?

Pour soigner les enfants dans leur globalité, dans leur composante somatique (le corps) et psychique. Chez le nourrisson, l’expression d’un mal être, quelle que soit son origine, se traduit aussi bien à travers son comportement que dans son corps, c’est du langage infra- verbal. Dès l’accession au langage, l’enfant peut mettre des mots sur son mal, mais il est toujours tributaire d’une expression tantôt somatique, tantôt fonctionnelle, tantôt psychosomatique. Un pédiatre doit tout autant savoir intervenir dans l’urgence que de détecter un mal être débutant, il est tout aussi important de banaliser le plus possible une maladie grave que de ne pas négliger une souffrance psychique. Dépister, traiter, accompagner, faire en sorte que quel que soit le problème, l’enfant mène une vie la plus normale possible, tels sont les enjeux du pédiatre.

Peut on soigner un enfant sans s’occuper des parents ?

C’est impossible de soigner un enfant seul sans l’assentiment de ses parents et sans qu’il ait une autonomie suffisante. Le nourrisson et le jeune enfant sont totalement dépendants de leurs parents, il est donc impossible de ne pas tenir compte de leurs constatations et de leurs demandes. Cela ne veut pas dire qu’un pédiatre ne tienne pas compte du langage du nourrisson et du jeune enfant, ni de sa demande à lui, bien au contraire. Le pédiatre est là pour l’enfant et l’adolescent, pour défendre leurs intérêts et leur santé. Il est souvent en interface entre les parents et l’enfant, il peut faire de la médiation entre eux mais, il se doit de privilégier les « droits de l’enfant » en priorité.

Vous organisez des conférences sur la parentalité au sein des entreprises. Pourquoi ce sujet vous intéresse t’il ?

Rencontrer des parents pour répondre à leurs questions est l’objectif principal. J’ai constaté dans ma pratique que les parents qui travaillent se heurtent à certains problèmes de présence notamment quand ils rentrent tard, ou voyagent régulièrement. Au sein des entreprises, je serai en prise directe avec les mamans qui travaillent, ont des postes à responsabilité et qui essayent de concilier au mieux leur rôle de mère avec les exigences de leur travail. Il est important de les déculpabiliser pour les libérer. Je pourrai également poursuivre mon rôle auprès des pères qui n’ont pas de lieu de parole quand ils ne peuvent pas accompagner leurs enfants chez le pédiatre. Les pères ne sont pas assez écoutés, ni entendus, alors qu’ils partagent de plus en plus certaines taches avec les mères.

Pourriez-vous nous dire les limites du conseil bienveillant dans les domaines suivant ? Faut il établir un contrat par exemple avec l’ado ?

Certains ados vont peut-être accepter des contrats (des « deals ») s’ils ont l’habitude de fonctionner comme cela avec leurs parents depuis des années, ou s’ils considèrent que ce sont des objectifs qui leur conviennent. Dès la pré-adolescence, ce n’est plus aux parents de dire « il y a qu’à » « il faudrait que », mais à l’enfant de vouloir (ou pas) essayer d’atteindre certains objectifs ou de pouvoir s’approprier une conduite, que ce soit pour maigrir (en cas d’excès pondéral) ou pour manger normalement (pour les filles qui se trouvent trop grosses) par exemple. Les limites et le cadre doivent faire partie du quotidien depuis la plus tendre enfance, ils permettent à l’enfant d’accéder petit à petit au monde en toute sécurité, tout en se sentant libre dans l’espace qui lui est dévolu. Par la suite, si l’ado se sent suffisamment libre et responsable, il acceptera plus volontiers des restrictions dans des domaines qu’il aura du mal à respecter de lui-même, à condition d’en comprendre les enjeux. Les parents ont trop tendance à moraliser ou à interdire sans respecter l’ado, ce qui ne marche pas en général et provoque des réactions inverses à celles qui sont attendues.

Que pensez-vous de Quokka et du principe des adultes-relais ?

Je pense que c’est une excellente initiative d’offrir un lieu de parole aux parents et aux ados. Dans bien des familles c’est le « non dit » qui embrouille les relations et alourdit le climat familial : chacun pense ce qu’il veut et interprète à sa façon. Vous offrez à chaque parti l’occasion d’exprimer, son ressenti, ses désirs sans pour autant prendre parti. Votre écoute permet de libérer certaines tensions, vos interventions peuvent aplanir certains problèmes. Vous êtes en situation de tiers, de médiateur, à condition de ne pas tomber dans la facilité qui serait de donner des recettes. Merci beaucoup pour cette interview et pour votre dernier livre qui nous passionne : «Enfants, mode d’emploi: à l’usage des pères» éditions Anne Carriere.

Publié le 15 janvier 2013 | | Laissez vos commentaires

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