Le cerveau dans tous ses états

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L’impact des tablettes et d’internet sur l’apprentissage reste mal connu. Revue de détail de quelques certitudes scientifiques

Ils sont partout ces tout-petits qui manient les smartphones et autres tablettes avec la dextérité de Michel- Ange dans la chapelle Sixtine. Dans cette école bordelaise, où Mathis, 4 ans, trace d’un index agile un trait vertical, forme une boucle, puis refait un trait qui part vers la droite, pour dessiner un « R » parfait. Dans cet appartement parisien, où Jeanne, 2 ans, s’endort après avoir « éteint » la lumière des pièces d’une maisonnette

animée, en appuyant sur des interrup- teurs tactiles. Outils éducatifs ou doudous, ces nouveaux objets numériques peuplent les chambres et colonisent l’école. Pourtant, pendant ce temps outre-Atlantique, c’est à une tout autre éducation que les cadres de la Silicon Valley, ceux-là mêmes qui inventent ces gadgets high-tech, destinent leurs propres enfants. Ils les inscrivent à prix d’or dans des écoles sans ordinateurs mais avec des tableaux noirs, des encyclopédies papier, des stylos à bille et des cours de tricot. A l’ancienne. Qui a raison ? Faut-il se méfier des écrans ?

Les tablettes rendent-elles idiot ?

Grandir le nez sur un écran n’est pas anodin. Pour le tout-petit surtout. « La tablette donne l’illusion d’une présence : les jeunes enfants expérimentent moins la solitude et l’ennui, explique Fleur Lazdunski, pédopsychiatre. Or, pour devenir autonomes, ils doivent apprendre à trouver en eux une tran- quillité quand ils sont seuls. La tablette les dispense de ce travail. De plus, elle leur propose un chemin tout fait – l’enfant n’a pas à faire d’effort créatif – et trop stimulant – ce qui gêne la concentration. Enfin, une tablette, c’est froid. Or le petit a besoin d’affects pour devenir humain. » L’écran animé ne remplacera jamais le face-à-face avec autrui, comme l’explique Michel Desmurget, chercheur en neurosciences cognitives à l’Inserm : « Une maman montre à son bébé de 1 an une poupée. Sur son ventre, il y a une fermeture Eclair. Elle ouvre cette fermeture et, là, elle trouve une clochette. Le bébé va imiter sa mère et la trouver lui aussi. Montrez la même scène en vidéo au bébé, il ne fera rien. Ce qui détermine le développement intellectuel d’un enfant, c’est le nombre de mots qu’il va entendre avant ses trois ans. Mettez une télévision dans une pièce, l’enfant en entendra deux fois moins ! Et une tablette, dans neuf cas sur dix, ça n’est jamais qu’une télé de poche. » Les spécialistes des effets des écrans les décon- seillent donc formellement aux enfants.

Internet nuit-il à la mémoire et à la concentration ?

On sait que l’enfant maintient son attention pendant moins longtemps qu’autrefois. « J’ai fait faire des tests datant de 1935, avec des puzzles, à des écoliers d’aujourd’hui : résultat, à âge égal, leurs capacités d’attention ont été divisées par trois, raconte Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation. Là où ils étaient concentrés quinze minutes, ils le restent cinq minutes aujourd’hui. Mais, pendant ces cinq minutes, l’enfant de 2013 en fera plus que celui de 1935. Son habileté mentale est plus grande, il est plus débrouillard, il décode mieux les indices. » Est-il stimulé par ces machines qui l’entourent ? Peut-être, mais les causes de cette évolution sont diverses. Les chercheurs invoquent aussi leur rythme de vie devenu plus rapide et leur manque chronique de sommeil – en trente ans, nos petits ont perdu plus d’une heure de repos chaque jour. Pour les plus grands, lire sur internet, ce n’est pas la même chose que lire son journal. « Surfer de lien hypertexte en lien hypertexte nous fait faire des digressions et nous nous perdons dans des choses qui n’ont plus rien à voir avec notre recherche première. Le cerveau va glaner des informations sans cohérence entre elles, décrypte Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive, spécialiste de la lec- ture. Or la cohérence est essentielle pour mémoriser. Si on passe du coq à l’âne, on ne retient pas. » Pas si grave : « Il devient plus important de savoir où sont stockées les connaissances que de les engranger, d’avoir une tête bien faite plutôt que bien pleine », estime le psychologue Léonard Vannetzel. Notre disque dur remplace notre mémoire. A l’ère de l’information à portée de clic, l’érudition n’a plus de raison d’être.

Ecrire au clavier rend-il dyslexique ?

Devant un écran, on utilise un clavier. Et on écrit de moins en moins à la main. Ainsi 45 Etats américains sur 50 viennent de dispenser leurs écoliers d’apprendre l’écriture cursive, avec des pleins et des déliés, au profit de la seule écriture bâton et de l’usage du clavier. La polémique enfle sur le danger qu’il y aurait à oublier la main. Dès les années 2000, au CNRS, les chercheurs en neurosciences cognitives Jean-Luc Velay et Marieke Longcamp ont étudié l’activité du cerveau qui déchiffre. Et fait une découverte surprise : « Lorsqu’une personne complètement immobile regarde une lettre, les zones motrices de son cerveau s’activent. Cela signifie que ce dernier fait le lien entre l’image lue et le mouvement que la personne fait avec sa main pour écrire cette image », explique Jean-Luc Velay. Ces chercheurs ont donc poursuivi leurs investigations. Ils ont constitué deux groupes d’enfants en âge d’apprendre à écrire. Pendant trois semaines, le premier groupe a appris des lettres uniquement en les tapant sur un clavier d’ordinateur. Le second, en écrivant seulement à la main. Puis les chercheurs ont montré des lettres aux enfants et leur ont demandé s’il s’agissait ou pas de celles qu’ils avaient apprises. « Les résultats des enfants ayant appris à la main étaient meilleurs que ceux des enfants ayant appris au clavier. Activer la mémoire motrice aide à reconnaître les caractères », conclut Jean-Luc Velay. Le stylo a encore de belles pages devant lui.

Par Cécile Deffontaines Publié le 17.10.13 par Le Nouvel Observateur

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Publié le 25 octobre 2013 | | Laissez vos commentaires

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