«Le monde des stages est un no man’s land»

Les députés ont adopté jeudi le projet de loi qui, à partir de 2015, doit mieux encadrer les stages en entreprise. Une gageure tant ils sont installés sur le marché de l’emploi.

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Des stagiaires malléables et corvéables à merci, à qui l’on demande d’apporter des cafés et des pizzas, ou à l’opposé, d’autres qui remplacent un congé maternité et occupent un vrai poste de salarié pour une rétribution dérisoire… La «loi relative au développement, à l’encadrement des stages et l’amélioration du statut des stagiaires», adoptée définitivement jeudi à l’Assemblée nationale, vise à mettre fin aux abus en tous genres (lire plus bas). Désormais, les stagiaires seront doublement encadrés – par un tuteur dans l’entreprise et par un professeur référent dans leur établissement. Les entreprises seront limitées en nombre de stagiaires, qui verront leurs droits renforcés et alignés sur ceux du reste du personnel – des chèque-repas, des indemnités transports… Après la kyrielle de textes déjà adoptés et jamais vraiment appliqués, cette loi sera-t-elle enfin la bonne ? Les défenseurs des droits des stagiaires, comme le collectif Génération précaire et les étudiants de l’Unef, veulent y croire. Même s’ils regrettent que la hausse de la rétribution minimale – portée de 436 euros à 523 euros par mois – soit si modeste et qu’elle ne soit applicable qu’à partir de 2015. Huit stagiaires racontent à Libération leurs expériences, le plus souvent douloureuses.  PETRA, 23 ANS, MAÎTRISE DE GESTION«LE TRAVAIL D’UN CADRE» «Lorsque j’ai signé mon contrat, l’équipe a été très claire : il s’agissait de remplacer ma responsable lors de son congé maternité. Après une maîtrise en gestion à Paris, j’ai effectué un stage de six mois dans une petite start-up de vente privée. La boîte comptait une quinzaine de personnes, dont quatre salariés. Bien que l’intitulé du poste demeurait flou, « chef de projet web marketing », les missions semblaient intéressantes. Ma tutrice est partie au bout d’un mois et demi, je n’ai pas eu le temps d’être formée avant de récupérer son poste comme responsable des ventes. J’ai rapidement du gérer le site internet de l’entreprise, mettre en place les ventes privées de produits en ligne, bref, faire le travail d’un cadre avec un statut de stagiaire. Ma responsable partie, je n’avais plus personne au-dessus de moi, excepté le patron et rapidement, je n’apprenais plus rien. Pire, on me demandait de former de nouvelles stagiaires. J’ai expliqué que je souhaitais être encadrée. Les promesses d’amélioration n’ont pas été suivies d’acte. Lorsque les relations se sont dégradées, je leur ai annoncé mon départ. La direction n’était pas consciente des abus et a protesté. Il est vrai que l’inspection du travail était venue survoler les contrats durant deux jours et n’avait alors rien trouvé à redire. Avant de partir, pour ne pas mettre la boîte en difficulté, j’ai quand même accepté la requête de mon ex-patron : leur trouver une remplaçante.» ADÉLAÏDE, 21 ANS, ÉTUDIANTE EN COMMERCE «LA PETITE MENTION « POLYVALENCE »…» «Un jour, ma tutrice m’a demandé : « Vous aimez les fleurs ? » et je me suis retrouvée à arroser les plantes vertes du camping. J’ai un bachelor en école de commerce et une formation en marketing et développement. Au cours de ma première année d’école, j’ai effectué un stage de deux mois dans un camping relais&châteaux à Quimper. Ma mission devait se limiter à de la logistique et de l’animation : gérer le planning, l’équipe du camping et ses clients. Mais c’était sans compter la petite mention « polyvalence » figurant sur ma convention. J’organisais des visites guidées, je cuisinais des crêpes, faisais du service au bar jusqu’à très tard le soir, sans rémunération des heures supplémentaires. L’équipe était en grande partie composée de stagiaires, sûrement plus de 50% du personnel, et nous logions tous sur place. Sur la gratification à laquelle j’avais droit, une grande partie était retirée pour l’hébergement. Au final, il ne me restait plus que 200 euros et même sans cela, ma paye n’atteignait pas les 436 euros de rémunération légale. Le contrat était calibré pour 35 heures mais j’ai fait beaucoup plus, j’étais à disposition de mes patrons 24 heures sur 24. Si le stage ne m’a rien apporté sur le plan professionnel, cela m’aura appris à ne pas répéter les mêmes erreurs : j’avais accepté dans la précipitation.»  AUDREY, 29 ANS, CUMULARDE «LE STAGIAIRE N’A PAS BEAUCOUP DE DROITS» «En cinq ans, j’ai cumulé un peu moins de trois ans de stages. Sans mon CV sous les yeux, je ne pourrais même plus énumérer toutes mes expériences professionnelles ! J’ai eu le temps de développer des compétences en droit, en finance en passant par le marketing. Pour moi, il y a longtemps que la dimension formation du stage n’a plus de sens. Après dix années d’études, j’ai un master 2 en droit à la Sorbonne et je termine un diplôme en école de commerce. Depuis huit mois, je suis à la recherche d’un emploi dans une start-up mais toutes les entreprises qui m’intéressent refusent de m’embaucher. Pour qui veut faire des études, le monde du stagiaire est un no man’s land : dans une convention de stage tripartite entre l’école, l’entreprise et le stagiaire, ce dernier n’a pas beaucoup de droits. Lors de ma dernière expérience chez un agrégateur de start-up, mon patron ne m’a pas payé le dernier mois. Depuis, je bataille, j’ai envoyé une lettre de mise en demeure, sans succès… Si je voulais entamer une action en justice, je ne pourrais même pas passer par les prud’hommes. Dès qu’on a dépassé 26 ans, on ne touche plus les aides qui accompagnent normalement le stagiaire, je n’ai même plus le droit à la sécurité étudiante. J’ai tous les inconvénients d’un statut précaire sans les avantages.» MARIE-CHARLOTTE, 20 ANS, GRAPHISTE «RELÉGUÉE DANS UN BUREAU À PART»  «Je suis en deuxième année de BTS communication. En décembre 2013, dans une agence de communication de Nantes, j’ai remplacé le poste d’une graphiste partie en congés maternité. Lors de mon entretien d’embauche l’équipe, entièrement composée d’hommes, a tout fait pour me mettre en confiance : j’allais être intégrée à l’équipe d’infographistes, je serais chargée des briefs au contact des clients, j’aurais des responsabilités… Les trois premières semaines se sont bien déroulées : j’occupais ma place sur le grand open space de l’agence, l’équipe et les clients étaient très contents de mon travail. Mais rapidement, l’ambiance s’est détériorée. J’ai eu droit à des blagues graveleuses, des avances appuyées… Et comme je ne prêtais pas le flanc, la réaction a été immédiate. J’ai littéralement été mise aux archives. Le patron m’a retiré toute mission de communication puis relégué dans un bureau à part de l’agence, toute seule, avec pour mission de trier des documents par ordre alphabétique. J’ai fini par m’en plaindre. Le patron est entré dans une colère noire, m’a bien rappelé ma place de stagiaire et mon peu de poids dans l’entreprise. L’instant d’après, il me prenait dans ses bras pour s’excuser. Ayant signé pour deux mois et demi, j’ai finalement quitté l’agence au bout de deux mois. Je ne voulais pas abandonner tout de suite car ce stage devait servir à valider mon diplôme. A mon départ, mon patron m’a balancé un chèque de 500 euros avec ce mot glissé à l’oreille : « C’est pour t’acheter des jupes et des petites robes. »» LUCAS, 20 ANS, ÉTUDIANT EN COMMUNICATION «CINQ MOIS DE STAGE, ÇA FAIT SÉRIEUX» «Je suis en troisième année de licence communication à Toulouse. Pour mon stage de fin d’études, j’effectue cinq mois dans une grosse entreprise industrielle de la région, au pôle communication digitale et réseaux sociaux. Mon stage s’est déroulé dans d’excellentes conditions. Dès le départ, mon maître de stage et les équipes ont été attentives à mon travail, m’ont fait découvrir les services avec un vrai suivi de mes différentes missions sur Internet et les réseaux sociaux. J’avais un peu peur en arrivant dans une grosse structure mais rapidement, on m’a fait confiance. Les stagiaires bénéficient d’un ordinateur de fonction, ont accès au self, au CE de l’entreprise et leurs horaires sont très encadrés : nous avons un badge nominatif pour rentrer et nous n’avons pas le droit de quitter l’entreprise après 18 heures. Je touche la gratification légale de stage, 436 euros. Cinq mois de stage, c’est long, mais utile pour découvrir une grosse structure. La plupart des projets prennent énormément de temps à se mettre en place, je n’aurais servi à rien si je n’étais resté que deux ou trois mois. Pour le stagiaire, c’est valorisant lorsqu’on lui confie des missions proches de celles d’un salarié à part entière.» KÉVIN, 20 ANS, ÉTUDIANT EN HÔTELLERIE «MERCI, AU REVOIR» «Lors de ma première année de bac professionnel, en seconde, j’ai effectué un stage de sept semaines à la brasserie d’un hôtel 5 étoiles. Une expérience très décevante. De la réception aux cuisines en passant par le service où j’étais affecté, la moitié des équipes était constituée de stagiaires et aucun ne disposait d’une formation ou d’un quelconque suivi. Sur ma convention, il était bien mentionné que je n’aurais pas de rémunération, tout en précisant que l’hôtel pouvait me verser, comme il se fait habituellement, 15% du Smic de gratification. Je n’ai rien touché. Et le travail était dur : il fallait être rapide, servir 120 couverts le midi en pleine saison, à deux serveurs professionnels et un stagiaire. Pour simplement s’entendre dire à la fin par la direction : « Merci, au revoir ».» FLORENT, 24 ANS, BAC + 5 EN COMMUNICATION «LE SUJET, C’EST LE SUIVI DES STAGIAIRES» «Après un master de communication à Lille, j’ai fait mon stage de fin d’études de six mois chez un distributeur de cinéma indépendant, en tant qu’assistant de promotion. Mais il y a eu une vraie inadéquation entre les missions annoncées et la réalité. J’aurais dû participer aux stratégies de lancement autour des films, faire du suivi des partenariats média. Au lieu de quoi je me suis retrouvé sans mission. Par contre, j’effectuais toutes sortes d’activités support : livrer des documents, faire le coursier pour la boîte… Le vrai sujet concerne le suivi des stagiaires : on enchaîne les stages pour obtenir des compétences qui doivent nous permettre de changer de statut et de trouver du travail. Mais beaucoup d’entreprises ne sont pas encore prêtes à manager leurs stagiaires.» FLORIANE, 23 ANS, CHARGÉE D’ACTION CULTURELLE «ON M’A PROPOSÉ DE RESTER» «Je suis en master 2 gestion de projet. L’an dernier, j’ai fait un stage de deux mois dans une collectivité locale, pour le réseau des bibliothèques de Rouen. J’ai été prise comme adjoint en action culturelle pour remplacer un départ, rémunérée 436 euros mensuels. J’étais la seule stagiaire aux côtés du directeur et de trois médiateurs culturels. Mes missions ont été très variées : je me suis occupé de l’administration, du budget, de rencontrer les différents acteurs culturels. J’ai dû être opérationnelle rapidement pour mener à bien les missions qui incombent à un adjoint en action culturelle. A la fin de mon stage, le directeur m’a proposé de reprendre le poste, ce que j’ai refusé car j’étais en plein cycle d’études. Je suis plutôt favorable aux nouvelles dispositions qui concernent le taux de 10% maximum de stagiaires par rapport au nombre de salariés. Je sais de quoi je parle, dans le domaine culturel, il y a encore beaucoup de boîtes qui, surtout pendant les festivals, ne tournent pratiquement qu’avec des stagiaires.» Source : Libération Lien : http://www.liberation.fr/societe/2014/06/26/le-monde-des-stages-est-un-no-man-s-land_1051553 Auteur : JOLAN ZAPARTY 26 JUIN 2014 À 20:26 (MIS À JOUR : 27 JUIN 2014 À 09:56)

Publié le 23 juillet 2014 | | Laissez vos commentaires

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